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Mes ricochets, ricocher, ricochez... de mots en mots
25 mai 2010

Nadeem Aslam - La Vaine Attente

La Vaine Attente

2005. L'Afghanistan près de la frontière pakistanaise : dans une maison aux murs ornés de fresques persanes, aux plafonds couverts de livres cloués, avec sa serre où autrefois on distillait des parfums, le docteur anglaisMarcus Caldwell, s'est installé quarante ans plus tôt par amourpour sa femme médecin Qatrina, aujourd' hui décédée. Ils ont eu une fille, Zameen. Vers cette maison convergent des êtres esseulés : la Russe Lara à la recherche de son frère, soldat disparu pendant l'invasion communiste. L'Américain David, ex-agent de la CIA ayant aidé les Afghans à chasser l'occupant soviétique, à la recherche de Zameen (disparue après avoir partagé sa vie àPeshawar). Marcus qui désespère de retrouver sa fille Zameen et son petit-fils Bihzad. Casa, le jeune orphelin afghan endoctriné par les talibans et qui brûle de faire ses preuves. Dans ce récità tiroirs, tout s'emboîte de façon inéluctable. Avec de nombreux retours en arrière.


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Un roman poignant, puissant, d'un rare force malgré les passages parfois longs. On s'attache aux personnages, on souffre avec eux. Marcus, David, Lara, Casa, autant d'âmes meurtries que l'on suit au fil des pages, qui se découvrent et qu'on découvre. Quatre histoires qui se découpent et se regroupent, s'éloignent et se retrouvent. 4 vies qui se retrouvent dans la maison de Marcus, où chaque pièce a une histoire, où les murs sont recouverts de fresques et les livres cloués au plafond, où Bouddha cotoie Allah et où la guerre laisse pour un temps place à la beauté et à la culture, au raffinement et au silence. 4 vies qui nous racontent l'Afghanistan et ses souffrances, ressenties différemment par les uns et les autres, l'Afghanistan et sa beauté, aussi, sa poésie même. 4 croyances différentes qui cohabitent, 4 histoires différentes qui se mélangent, 4 possibles raisons différentes d'aimer.


Un roman paradoxal, tout de même. Parce que l'histoire est poignante, parce que les personnages touchent au plus profond du coeur, parce que la cruauté distillée au fil des pages enrage et que la poésie porte à sourire. Parce que, pourtant, même si je n'ai à aucun moment imaginé ne pas aller au bout de l'histoire, il ne m'a pas transportée loin de moi-même, emportée dans son sillage. Trop descriptif, peut-être, pour être passionnant, trop "aux quatre vents", trop emmêlé, trop informatif. D'un personnage à l'autre, d'une histoire, on se perd un peu, entre les mots et les non-dits, à essayer de démêler la vérité du reste, à comprendre le cheminement véritable qui les a amenés là, dans cette maison, tous les quatre


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Interview de l'auteur sur l'express.fr


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Extraits :


"Son esprit est une demeure hantée.

La femme qui se nomme Lara lève les yeux, croyant avoir entendu un bruit. Repliant la lettre qu’elle vient de relire, elle s’approche de la fenêtre qui surplombe le jardin. Dehors, l’aube emplit le ciel de lumière, même si quelques étoiles sont encore visibles.

Au bout d’un moment, elle se détourne et se dirige vers le miroir circulaire appuyé contre le mur du fond. L’apportant jusqu’au centre de la pièce, elle le pose dos contre le sol, doucement, sans un bruit, par égard pour son hôte qui dort dans une pièce voisine. Indifférente à l’image qu’il lui renvoie d’elle-même, elle s’attarde sur le reflet du plafond qu’elle y voit dans la lumière pâle de l’avant-jour.

Le miroir est grand : à supposer que le verre soit de l’eau, elle pourrait plonger et disparaître sans en toucher les bords. Sur le vaste plafond, il y a des centaines de livres, chacun maintenu en place par un clou qui le transperce de part en part. Une pointe de fer enfoncée dans les pages de l’Histoire, dans celles de l’amour, celles du sacré. À genoux sur le sol poussiéreux à côté du miroir, elle essaie de déchiffrer les titres. Les mots sont inversés, mais la tâche se révèle plus facile que si elle restait des minutes entières la tête renversée à regarder le plafond.

Aucun bruit hormis celui de sa respiration régulière et, dehors, le bruissement de la brise agitant de ses robes ondoyantes le jardin envahi par les mauvaises herbes.

Elle fait glisser le miroir sur le sol, comme si elle passait à une autre section d’une bibliothèque.

Les livres sont tous là-haut, les gros comme ceux qui ne sont pas plus épais que les parois du coeur humain. De temps à autre l’un d’eux tombe de lui-même, à moins qu’on ne choisisse de déloger l’ouvrage voulu grâce au maniement judicieux d’une perche en bambou.

Originaire de la lointaine Saint-Pétersbourg, elle a accompli un long voyage pour arriver dans ce pays, celui qu’Alexandre le Grand a traversé sur sa licorne, cette terre de vergers légendaires et d’épaisses forêts de mûriers, de grenadiers qui ornent les frises de manuscrits persans écrits voilà plus de mille ans.

Son hôte s’appelle Marcus Caldwell. Anglais de naissance, il a passé la majeure partie de sa vie ici en Afghanistan, après avoir épousé une Afghane. Il a soixante-dix ans, et sa barbe blanche, ses gestes mesurés évoquent ceux d’un prophète, un prophète déchu. Elle n’est là que depuis quelques jours et ne sait rien ou presque de cette main gauche que Marcus a perdue. La coupe de chair qu’il pouvait former avec les paumes de ses mains est brisée en deux. Un jour, tard dans la soirée, elle l’a interrogé à ce propos, avec délicatesse, mais il s’est montré si réticent qu’elle n’a pas insisté. En tout état de cause, il n’est besoin d’aucune explication dans ce pays. Il ne serait guère surprenant qu’un jour les arbres et les vignes d’Afghanistan cessent de pousser, de peur que leurs racines en continuant de croître entrent en contact avec une mine enfouie à proximité.

Elle approche sa main de son visage pour respirer l’odeur du santal déposée sur ses doigts par le cadre du miroir. Le bois d’un santal sur pied ne sent rien, lui a dit Marcus l’autre jour, le parfum ne prenant corps qu’une fois l’arbre coupé.

À la manière de l’âme qui quitte l’enveloppe charnelle après la mort, songe-t-elle."


 

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