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Mes ricochets, ricocher, ricochez... de mots en mots
26 avril 2010

1920 - 1999

Décembre 1999. Aujourd'hui, c'est l'anniversaire de Martine. Ou plutôt, ça l'aurait été. Elle aurait eu 79 ans. Dehors, une mince couche de neige recouvre les rues et les jardins, et aucune trace de pas ne vient dénaturer ce paysage immaculé. De part et d'autre de la ville, deux personnes regardent la journée naître depuis leur fenêtre. Il y a Gérard, dans les beaux quartiers. Ses rares cheveux blancs cachés sous un bérêt. Et Françoise, à l'autre bout, du haut de son 12ème étage, au fond d'un HLM, dont le regard se perd dans le vide plus qu'il ne s'attarde réellement sur quelque chose en particulier.

Il y a 60 ans, Françoise aimait Martine comme elle l'aime toujours aujourd'hui. Elles s'étaient juré le monde et le monde a eu raison d'elles. Il y a 60 ans, Martine a rencontré Gérard et la guerre a éclaté. Les yeux de Françoise se brouillent de larmes. Son esprit est un peu confus maintenant, elle n'est plus toute jeune et les souvenirs désertent peu à peu les vestiges de sa mémoire. Avant, elle était belle, dans les bras de Martine, elle était belle et heureuse. En marge de la guerre, elles s'enfermaient des semaines entières sans que cela semble anormal à quiconque. N'est-ce pas ce que tout le monde faisait? Chercher une présence réconfortante et un abri où oublier les bombes? Elles en oubliaient presque l'anarchie du deshors.

Puis la guerre s'est arrêtée, et la vie a repris son cours. Les lettres enflammées qu'elles s'envoyaient faute de pouvoir se voir aussi souvent qu'elles le voulaient se sont espacées. Les réponses de Martine se faisaient plus rares. Jusqu'à la dernière, qui annonçait son mariage, sa tristesse de n'être pas capable de combattre les préjugés et l'incompréhension du monde, son besoin d'aller de l'avant. Elle disait "Si tu m'aimes, ne m'écris plus, c'est trop difficile. Je ne t'oublierai jamais et tu resteras dans mon coeur, mais nous n'avons pas d'avenir."

Françoise s'était murée dans le silence, ne s'était jamais mariée. Elle avait attendu, que Martine revienne ou que l'oublie l'emporte et que la vie reprenne. Mais l'oublie jamais n'était parvenu à s'immiscer totalement dans son coeur. Pendant 50 ans, elle n'avait plus eu aucune nouvelle de Martine, jusqu'à 2 ans auparavant.

Ce recommandé, provenant d'un notaire qu'elle ne connaissait pa. Elle n'avait pas compris tout de suite, en ouvrant l'enveloppe. Tout ce charabia juridique. Puis, il y avait la lettre, et la déchirure.

"Ma très chère Françoise,

A l'heure où ces mots te parviendront, la maladie aura finalement eu raison de moi. Comme j'aurai aimé trouver le courage de venir te parler, ou au moins de t'écrire avant. Des dizaines de fois, j'ai pris le chemin de ton immeuble avant de faire demi tour, commencé une lettre avant de la jeter au feu. J'avais tout aussi peur, je crois, que tu m'aies oublié que de la force presque brutale de mes sentiments que le temps n'a pas réussi à éroder. Et aujourd'hui, il est trop tard. Je suis alitée depuis plusieurs semaines et je sens que la fin approche. Gérard a été un bon mari, et j'ai eu une vie heureuse, je crois. Je n'ai jamais pu me résoudre à lui parler de nous. C'est un homme bon, aimant, et il ne méritait pas la tristesse que lui aurait causée un tel aveu. C'est pour ça que cette lettre ne te parvient qu'aujourd'hui, sous le sceau du secret testamentaire. Parce qu'll fallait que tu saches que je regrettes du plus profond de mon âme de n'avoir pas osé te suivre au bout de notre amour. Pas un seul jour je n'ai cessé de penser à toi, et tui est restée jusqu'au dernier le seul amour de ma vie. Pardonne-moi.

Avec tout mon Amour,

Martine."

C'était il y a presque deux ans. Depuis, Françoise a croisé Gérard plusieurs fois, au cimetière. Elle s'est présentée comme une amie d'enfance perdue de vue après la guerre, qui avait malheureusement retrouvé la trace de Martine trop tard. C'est vrai qu'il a l'air gentil, il a l'amour au fond des yeux. Un jour, peut-être, ils iront boire un café ensemble, âmes esseulées aux larmes tournées vers une seule et même personne.

Et de derrière sa fenêtre, Françoise sourit à travers sa peine, heureuse de savoir que l'Amour de sa vie a été tant aimée.

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Commentaires
K
J'aime. Même si c'est d'une tristesse infinie de vivre tout ce gâchis, d'imaginer que ça a pu arriver, que ça peut arriver... C'est incompréhensible à mes yeux, passer à côté de sa vie à ce point-là.
Mes ricochets, ricocher, ricochez... de mots en mots
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